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La Sexualité Sacrée:Les hommes nus, à rebrousse-poil

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Echapper au visage de bébé, mais obtenir des fesses de nourrisson. Une tendance qui en dit long sur la virilité contemporaine.

La beauté s'exprime différemment de nous,mais avec des points communs  sur ce dessin datant de 430 avant Jésus Christ.

La beauté s’exprime différemment de nous,mais avec des points communs sur ce dessin datant de 430 avant Jésus Christ.

Qu’est-ce que la virilité ? La question agite les polémiques, les clubs de foot, les facs – qu’est-ce qu’un vrai mâle, et, si une telle chose existe, comment se fait-il que le mâle se transforme au fil du temps, évolue comme un Pokémon d’avatar en avatar ? Nous sommes en 2016, nous avons embrassé les identités fluides. Or le poil, plus que jamais, est un marqueur identitaire – il raconte qui est prépubère, qui est femelle, mâle, queer, ironique, contestataire.

Jupiter et Thétis:une oeuvre du 19 ième siècle.

Jupiter et Thétis:une oeuvre du 19 ième siècle.

Nous sommes en 2016 et 44 % des hommes (américains, too bad) s’épilent le derrière, tandis que d’autres sont prêts à dépenser jusqu’à 22 000 dollars (20 312 dollars) pour se faire transplanter une barbe. Echapper au visage de bébé, mais obtenir des fesses de nourrisson. Faire remonter la toison au menton. Faire remonter la sexualité du bas en haut. Ces tendances en disent long sur la virilité contemporaine, certes, mais aussi sur le déplacement du désir.

Jusqu’à tout récemment, l’homme velu affichait son poil partout, librement, sauf sur son visage : seule la face était publique, seule la partie visible par les collègues de bureau était civilisée. Il fallait « faire propre » pour aller travailler. Les hommes étaient des grizzlis empaquetés dans des open spaces.

Aujourd’hui, c’est presque l’inverse. Parce que la sexualité est publique mais que les barbus hipsters (les « jeunes indépendants », les « millennials ») travaillent volontiers à la maison ou dans des environnements dénués de dress code strict, on ratiboise dans tous les sens sauf sur le visage. Ainsi le pubis masculin sera-t-il arboré au-dessus du col de chemise. Et pourquoi pas ?

On hygiénise

Au début du 20 ième sicle:un dessin représentant une relation homosexuelle .Les corps sont épilés.

Au début du 20 ième sicle:un dessin représentant une relation homosexuelle .Les corps sont épilés.

Une zone génitale glabre n’est pas seulement plus visible : elle est aussi plus accessible, plus susceptible d’être subvertie – des fesses épilées sont des fesses plus faciles à caresser. Plus faciles à pénétrer. Le corps du mâle contemporain n’est plus destiné au marché du travail mais à ses partenaires sexuels. On peut d’ailleurs y percevoir une manifestation de l’égalité des genres : si les femmes sont priées d’annihiler ce qui dépasse du maillot (voire ce qui dépasse de leur peau), eh bien les hommes suivent le mouvement. Le désir est à ce prix.

Je n’évoque évidemment pas la notion de « prix » au hasard, tant l’industrie cosmétique a intérêt à mettre tout le monde sous pression. Vous trouverez en boutique des crèmes dépilatoires spécialement conçues pour les mâles, ainsi que des gels de rasage pour pénis. Si la peau picote, des after-shave spécifiques permettent de récupérer un toucher soyeux et velouté. Quant à la cosmétique de la barbe, elle se porte bien : soins, sérums, gammes luxueuses de rasoirs et de ciseaux pour les indispensables retouches… L’homme est prié de consommer (des produits) pour pouvoir consommer (sa sexualité). Le look naturel ? Inexistant, persona non grata. L’industrie gagne sur tous les tableaux et commande un magnum de champagne.

Photo prise par Gloeden,en Allemagne entre les 2 guerres.Les standards changent.

Photo prise par Gloeden,en Allemagne entre les 2 guerres.Les standards changent.

Mais au fait, pourquoi les hommes acceptent-ils si facilement de mettre la main au porte-monnaie ? Pas seulement pour séduire, encore moins pour la joie de se transformeren objets sexuels. C’est plutôt que la sexualité, en atteignant l’espace public, a dû passer par le cabinet de toilette. Point de « saletés » ou de « cochonneries » dans le collectif : on hygiénise. La masturbation devient un entraînement sexuel, le missionnaire se fait geste-santé. C’est évidemment sur cette idée que jouent les vendeurs de sérums et de cire. Côté pile, on vante des pratiques sexuelles plus confortables et propres (le côté lisse « protégeant » des sécrétions et odeurs gênantes, les femmes connaissent bien l’argument – mais qui demande à être « protégé » de la sexualité ?). Côté face, une étude récente montrerait que la barbe protège des infections (grâce à un sympathique microbe planqué dans la toison). Bingo, ouvrez le tiroir-caisse.

En 1956,on ne dessine plus de barbes...C'est démodé et de mauvais goût!

En 1956,on ne dessine plus de barbes…C’est démodé et de mauvais goût!

Cette tendance porte un nom poétique : le « manscaping », du mot anglais landscape (« paysage »). Il s’agirait pour les hommes de devenir les paysagistes de leur propre corps, de décider s’ils sont plutôt garrigue ou forêt noire, vallons aux côtes apparentes ou collines bien alignées d’abdominaux. Simple question de vocabulaire ? Je n’y mettrais pas ma main à couper. La comparaison du corps au paysage a jusqu’à présent été réservée aux femmes – on se rappelle les interprétations freudiennes des rêves où la dense forêt, la touffe, le buisson, représentent un pubis féminin surmonté de bulbes et de rivières. Tandis qu’aux corps masculins on associe plutôt l’architecture, la colonne de marbre – prétentieux !

Chaos velu

Aux femmes, la nature, aux hommes, la culture : une conception binaire dont il fallait évidemment se débarrasser, mais dont le dépassement entraîne des tensions. On peut ainsi voir dans la barbe foisonnante une stratégie masculine de compensation : l’affirmation d’une virilité solide quand la pression sociale exige qu’on aille à contre-poil, qu’on emprunte aux femmes leurs valeurs et artifices (je sais bien, moi, que les lecteurs du Monde sont de grands sensibles tartinés de crème de jour et occupés à terminerpéniblement leur régime après-fêtes, afin de rentrer dans leur pantalon moulant préféré). Rien d’étonnant à ce que nous confondions volontiers, de nos jours, les mots « barbus » et « réactionnaires »…

L'émancipation gaie a fini par faire disparaître tous les poils. Une mode venue de San Francisco.

L’émancipation gaie a fini par faire disparaître tous les poils.
Une mode venue de San Francisco.

Conséquence logique de ce chaos velu ? Une grosse envie d’en rire, rendue d’autant plus urgente que la barbe a longtemps été synonyme de sagesse. Le patriarche sérieux comme un pape, sourcils froncés, avec sa barbe à papi, laisse place au « garçon sensible », vulnérable aux injonctions de la société mais incroyablement créatif quand il s’agit de les contester par l’absurde.

Ainsi, alors qu’on célébrait en 2015 la tendance de barbes à paillettes permettant aux hommes de s’infantiliser autant que les femmes, alors que le « man bun » (le chignon pour garçons façon prof de yoga) disparaissait en quelques mois, voici venu la « man braid » : la tresse au sommet du crâne, comme une contre-tonsure. Si cela ne vous suffit pas, vous pouvez opter pour le « merkin » – une perruque pubienne décorative qui aurait été utilisée dans les temps anciens pour couvrir, chez les prostituées, les signes de syphilis. (Il en existe quantité en ligne, pour homme comme pour femme d’ailleurs, de 10 à 50 euros environ.)

Même parti pris humoristique côté littérature : Emmanuel Carrère, dans son roman La Moustache (Gallimard, 2005), décrit l’histoire d’un homme qui un beau jour se débarrasse de sa moustache… une décision apparemment anodine, mais qui entraînera de très rocambolesques développements. (Je vous recommande chaudement ce livre pour passer l’hiver, pour rigoler un bon coup et pour vous interroger sur l’identité masculine.)

Alors, difficile d’être homme dans un monde où il faudrait s’afficher simultanément glabre et velu ? Peut-être. Mais si ces questions intimes sont aujourd’hui exploitées commercialement et politiquement, les mâles y répondent avec le sourire. De quoi nous mettre tous, et toutes, de bon poil.

Plus de 800 ans avant JC,les néo-assyriens  exhibaient leurs barbes au combat contre les démons.

Plus de 800 ans avant JC,les néo-assyriens exhibaient leurs barbes au combat contre les démons.

 



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